Avec la montée en puissance des réseaux sociaux comme TikTok, Snapchat ou Discord, les adolescents ont développé un lexique propre à leur univers numérique. Ce langage, souvent inaccessible aux adultes, leur permet de renforcer leurs codes identitaires, d’entretenir des liens sociaux, mais aussi de contourner la surveillance parentale ou institutionnelle. S’il peut paraître anodin ou purement culturel, ce vocabulaire est parfois le support de violences en ligne, de normalisation de certains comportements à risque ou de reproduction de stéréotypes genrés préoccupants.
Comprendre cette terminologie est essentiel pour tous ceux qui travaillent au contact des jeunes : parents, enseignants, éducateurs, psychologues, élus ou professionnels du numérique. Cela ne vise pas à « espionner » ou contrôler, mais à mieux interpréter les signaux faibles, accompagner la construction numérique des jeunes, et prévenir les dérives comportementales ou sociales.
Acronymes et abréviations : contourner les filtres et les adultes
Les adolescents utilisent des acronymes pour gagner du temps, mais aussi pour contourner les systèmes de modération automatisée des plateformes sociales. Les modérateurs ou algorithmes peuvent bloquer certains mots-clés associés à la violence, la sexualité ou l’automutilation. Voici quelques exemples concrets :
- unalive : utilisé à la place de « dead » ou « suicide » pour éviter la détection par les filtres.
- S/H ou S/A : désigne le self-harm (automutilation).
- 0D : pour overdose.
- NSFW (Not Safe For Work) : contenu inapproprié ou explicite.
- S3x / dr*gs / p0rn : formes modifiées de mots interdits.
À côté de ces usages défensifs, on retrouve aussi des abréviations classiques comme :
- IRL (In Real Life) : dans la vraie vie.
- DM (Direct Message) : message privé.
- FYP (For You Page) : page d’accueil personnalisée sur TikTok.
- Cap / No Cap : mentir / dire la vérité.
Emojis : un langage implicite et parfois détourné
Les emojis ont progressivement évolué d’un simple rôle expressif à un véritable langage codé. Les adolescents les utilisent pour exprimer leurs émotions, valider ou invalider des comportements, mais aussi pour contourner la censure ou camoufler des intentions.
Quelques usages typiques :
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- 🍆 (aubergine) et 🍑 (pêche) : à connotation sexuelle.
- 😏 (sourire en coin), 💔 (cœur brisé), ❄️ (flocon) : pour qualifier quelqu’un de froid ou insensible.
- 👀 (yeux) : pour signaler une tension ou une attente.
- 🌙 (lune) : fait référence à un « compte secondaire » ou à une facette cachée d’une personne.
- 🩶 (cœur gris) : symbolise une forme d’attachement froid, distant ou ambigu. Très utilisé après des ruptures ou dans des relations jugées « toxiques douces.
- 🤖 (robot) : représente quelqu’un de fermé émotionnellement ou de désengagé. Aussi utilisé de façon moqueuse pour désigner une personne perçue comme manipulable (en lien avec « NPC »).
- 🐍 (serpent) : symbole de trahison ou de duplicité. Utilisé dans les conflits d’amitié ou les situations de « drama ».
- 🔥 (flamme) : dans son sens positif, signifie que quelqu’un est « stylé » ou attractif. Mais utilisé en série (🔥🔥🔥), il peut accompagner un « flame » (attaque verbale en ligne).
- 👑 (couronne) : revendication de statut ou d’estime de soi. Très fréquent dans les bios ou les commentaires valorisants.
- 🧃 (brique de jus) : utilisé pour désigner quelqu’un de crédule ou influençable (« il/elle a tout bu »).
- 🧠 (cerveau) : ironie autour de l’intelligence. Peut être utilisé sincèrement ou pour se moquer.
- 👟 (baskets) : symbolise la fuite, souvent émotionnelle. Évoque un besoin d’évasion ou un refus de confrontation.
- 👀 (yeux) : souvent utilisé dans les commentaires pour signaler qu’un contenu est choquant, surprenant ou gênant. Peut aussi indiquer qu’on « observe » discrètement.
- 💀 (tête de mort) : signale une gêne extrême ou un rire incontrôlable, dans un sens humoristique (« mort de rire » version emoji).
- 🫣 (visage qui se cache) : très populaire depuis fin 2024, pour exprimer un mélange de honte, de malaise et d’amusement.
Combinés entre eux, ces emojis permettent d’exercer des formes de pression, d’exclusion ou de moquerie qui échappent souvent à la lecture adulte.
Dynamiques relationnelles numériques : Snap Score, streaks, ghosting
Les plateformes introduisent des mécanismes d’interaction codifiés qui ont un impact direct sur la perception de soi et les rapports sociaux entre adolescents :
- Snap Score : compteur d’interactions sur Snapchat. Sa baisse ou stagnation peut être interprétée comme un rejet ou une distance relationnelle.
- Streak : série de jours consécutifs d’échanges entre deux personnes. Une rupture est parfois vécue comme une trahison.
- Ghosting : cesser toute communication sans prévenir, souvent perçu comme une violence passive.
- Clash / Cancel : disqualification ou boycott public d’un individu après une controverse réelle ou fabriquée.
Ces pratiques participent à une hyper-régulation sociale entre pairs, souvent intense et émotionnellement marquante.
Lexique de cyberviolence et d’humiliation numérique
Dans de nombreux cas, le langage devient l’instrument d’une cyberviolence. Certaines expressions ou formats sont utilisés pour rabaisser, humilier ou exclure :
- Flame : série d’attaques verbales dirigées contre une personne.
- Hard flame : version exacerbée, souvent en groupe, dans les commentaires ou messageries privées.
- Ratio : acte d’humiliation où une réponse à un post obtient plus d’interactions que le post lui-même, symbolisant une forme de désaveu social.
- NPC (Non-Playable Character) : terme péjoratif désignant une personne perçue comme dénuée de personnalité ou manipulable.
- Pick me girl : utilisé pour ridiculiser une fille qui cherche l’attention masculine en dénigrant les autres filles.
- Simp : terme péjoratif pour désigner un garçon perçu comme trop gentil ou dévoué à une fille, souvent sans réciprocité.
Ces mots sont parfois banalisés mais peuvent faire partie de mécanismes de harcèlement structuré.
Les typologies comportementales Alpha / Sigma / Beta : stéréotypes genrés et influence sociale
La popularisation sur TikTok et YouTube des catégories « Alpha », « Sigma » ou « Beta » repose sur une grille de lecture hiérarchique des comportements masculins. D’origine anglo-saxonne, ces termes proviennent partiellement de la culture des forums en ligne et ont été diffusés par certains créateurs de contenus masculinistes ou de développement personnel. Bien qu’ils soient parfois utilisés avec ironie ou détournés, ils véhiculent des stéréotypes rigides et problématiques :
- Alpha : dominateur, sûr de lui, leader naturel.
- Sigma : indépendant, introverti, mystérieux (perçu comme « supérieur » au Alpha dans certaines communautés).
- Beta : suiveur, jugé faible, souvent stigmatisé.
Ces catégories, bien qu’inspirées du comportement animal (ce qui est scientifiquement controversé dans le cas humain), influencent les représentations sociales des garçons, leurs attentes relationnelles, et parfois leur rapport aux autres genres. Cela peut aussi renforcer des logiques de compétition ou de mépris envers les pairs jugés « inférieurs ».
Pourquoi ce vocabulaire doit être compris dans une logique de prévention
Le vocabulaire numérique adolescent est le reflet d’une culture en constante mutation. Il intègre des éléments ludiques, identitaires, mais aussi potentiellement violents ou stigmatisants. Le décrypter n’est pas une intrusion, mais une clé de lecture pour mieux comprendre les dynamiques en ligne.
Pour les professionnels, il peut :
- Servir d’outil de détection de comportements à risque ou d’isolement.
- Aider à poser les bonnes questions sans juger.
- Faciliter un dialogue intergénérationnel autour du numérique.
- Prévenir certaines formes de cyberviolence et de reproduction de stéréotypes nocifs.
Accompagnement : conférences et ateliers spécialisés
Nous proposons des conférences et ateliers sur mesure à destination :
- des établissements scolaires (collèges, lycées, MFR),
- des collectivités territoriales,
- des centres de formation,
- des professionnels jeunesse et de la protection de l’enfance,
- des parents et éducateurs.
Nos thématiques incluent :
- Le décryptage du langage numérique adolescent.
- Les mécanismes de cyberharcèlement et leurs signes faibles.
- Les stéréotypes genrés dans les contenus viraux.
- L’éducation à la citoyenneté numérique et à l’esprit critique.
Nos interventions sont adaptées au niveau de compréhension des publics et conçues pour favoriser la prévention, le dialogue et la responsabilisation. Contactez-nous pour organiser une session dans votre établissement ou structure : Comprendre, c’est mieux prévenir. Prévenir, c’est protéger.